Download Journal intime de Marie Lenéru : Un écrivain en quête de soi and more Exercises Theatre in PDF only on Docsity!
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Table des J.{at1~S.
Chapitre l. La Vie de Mari. Lenénl.^1 Page 1. Chapitre II. Les J:f'tranoh18. 19. Chap1tre III. Le Red.outable. 31. Chap1tre IV. (^) Le T.r1o~tr108. 42. Chal>1tre V. ~ PaiX. 51. Cha:p1tre VI. Les Lutteurs. La Ka1son sur le Roo. Le Bonheur des Autres. fi'l. Chapitre VII. Les Idées l^ General,^ , ••• '14.
:B1bl1ogra:ph1e.
CHAPITRE 1.
La Vie de Marie Lenéru.
L'oeuvre d'un auteur s'explique par son milieu, par son
éducation, par les tendances dl esprit, qtll se manifestent. même dans
aa jetlnesse. Les détails sur le milieu et sur l'éducation d'un
écrivain sont assez faciles à trouver mais les dét~ils sur la
croissance de l'âme et de l'esprit sont brès rares et Inférés par
le critique ps,r des argumen1ts"à prniori" Il Ces détails, toujours
intéressants souvent. importants, sont indispensable s pour la. com-
préhension à fond d'une oeuvra asseL individualiste que celle de
!Tademoiselle l~arle Ienéru. Et ces détaIls, on les possède dans
son petit cahier journa·lier, p^ l'agenda usuel de l'âme., De sa
propre plume on a ces mots: "Je ne ferai rien pour que ceci
salt publié, mais je veux que cela solt. publiable .. " Son
"journal" a été commencé dès l'âge de onze ans et continué avec
quelques Int.errllptions -- et celles-là d'une signification im-
mense -- ju.sqn'au mois qlli préc~de sa mort prématurée.
Marle Lenéru est née à Brest le 2 juin, 1875 d'une
famille de ma.rins. Son p~re, entré dans la marine à l'âge de
16 ans, décoré de la Légion d'honneur à 25 ans pour sa. belle con-
duite pendant le sl~ge de Paris,mourut en 1876. ouand sa petite
Marle n'avait que 2 ans. Sa mère, restée veuve à 21 ans, auprès
de qui elle a passé la vie dans une amitié profonde et dont
-3-
A IT&ge de Il ans même, W~rie Lenéru montre la pré-
occupation morale ,""'ni fera plus tard le fond de toutes e:es oeu.vres.
Sans cesse on trouve dans le joarnal d'enfant des phrases comme
celles-cl:
(") "Je n'al pas bien fait ma prière car je dormais trop.
Je dols dire que cela m'arrive depuis quelq Lles jours •
.A:ujourd f hui en fai t de promenad.e nous sommes allé.s à
la. foire. J'~al fai t ~a gourmande (j'ai mangé d.eux gaufres et
une tranche de coco) en plus jfal menti à Fernande en lui disant
que j'avais faim.
Ce matin j·al été· partesseuS6, maman m'avait dit de
repasser mes leqons et je nfai repassé que ma leçon de grammaire
et ce qutil y a de pIs encore crest que quand je suis desnendn
pour me faire coiffer j'al dit à maman que jesavals brês bien
t,olltes mes leçons donc voilà parresse et mensonges t moi qui vou-
1al~ tant être exemplaire .. je commence blen ma journée, quand on
pense qufil nfest pas encore mldi~
Ce matIn je nfai pas bien fait ma prière du tout, da
reste le matin je ne la faij; pas trop blen, je croIs que CT est
pa.rce que je n'ai pas~ tant de peur de mOLlrir que le soir. ft-
A. la date du 24 décembre 1886::
"Que je suis heu.reuse~ Je suls en état de gra.ce
depuis ce matin, car je communiral^ t".,.^ ce soir a, ma messe de minuit;
("') Jo arnal dl enfance dl· après Fran~ols de Curel, npréf.a.ce du journal."
-4-
c'est en revenant de chez Rendall que nous sommes allées nous con-
fesser maman, tante Allee, Fernande et mol; d'abord j'al été três
effrayée d'y aller de sI 6cr~hcaheurL Il était onze heures et je
trouve qu'on avai t bien trop de temps de commettre d'au tres péclié-s,
mals enfin malgré ce temps je crois que je ne me suis pas encore
rendu coupable d'~~tres fautes.
Je crois que j'al eu la contrition parfaite je serai si
heureuse ~"
XIIe avait l'esprit critIque et n'accepte pas tout ce
qu'elle lisait sans se raisonner 1lIl pen la chose. Du 1er février
1887 ;
"Hier j"aI lu. dans VIctor Hugo Zacharie en somIne c'es_t
son histoire. son édl1cation à été fatte par un prêtre qui lui en-
seignait son à peu prês car il le dit car toutes les religions
sont des à peu pràs et quton brise l'esprit des enfants en la leur
enseignant mais qui heureusement il ne leur en restait pas toujonrs
tant '1ue cela preuve Voltaire, où. a-t-il la t@te-? eh bien est-ce
que c'est la chose que Voltsire a fa,it de mieux? est-Il permis de.
penser comme cela, dans ses poésies 11 a bien recours à. Dieu!
pourc~uol blâme-t-ll son culte~ ce n'est pas non plus lui atlssi
ce qu'lI fait de mieux, maintenant qtl'll est mort il he doit
plus penser comme cela~ Oh ~a. jf en al bien la conviction."
-6-
Le 17 février 1887, le mot de guerre fait une premi~re
apparition sous la. plllIDe du futnr auteur de "La Paix":
"Un senl mot seulement avant de dtner; la Guerre! on
n'entend parler Que de cela mon Dieu! Qne ce soIt franc au moins,
Si qa dolt être guerre qu'on le sache, qu'on le dise' (que j'écris.
!!l~1. ~ussl je suis sI pressée) j ~~.!.s après to~]_t je ne crois pas.
que l"on connaisse l'avenIr sans cela cette bavard.e presse aurait
il y a. longtemps créé- cela snr les toi ta; mais st il y a la gllerre
et que je ne puisse servir qu'à faire de la charpie c'est cela
qtll ne ml irai pas, encore si je pouvait aller dans las ambul8,ncesi
maman y aurait été si je nfétais pas là. qnelle scIe Patriotique!
comme les enfants sont g~nants tout de m~me! Mais maman pour-
rait bien m'y mettre avec elle voilà tous les avantages que qa
aurait: la rendre beaucoup de services. 2° qtle maman pourra sa-
tisfaire l'envie qu'elle a dry aller 3 0 et la mienne, de pouvoir
servIr à quelque chose 4° de m'habituer à voir dn sang, à entendre
l.es détonations et à ne pas servir à rien, les dés'a.vantages qtle
ce serait triste, Il n'yen a. pa.s dfa.utres; Il faut espérer cepen-
dant que la guerre ne viendra pas nous troubler car combien de
gens motlrralt~ pourquoi vouloir toujours avoir tant de terrain
que cela A qaol, ~8 aert-ll?~
C'est en 188't qtle la jeune Marle devait recevoir la.
confirmation. De son journal commencé Il 1 a. quelques mols nous
avons des détails intime s sur sa. préocctlpat.ion religieuse à. cet te
époque. l[ons:-eigneur qui deva.it ·lui donner la confirmation tombe malade. La cérémonie est remise au. grand chagrin de 11arie, et puis- l t^ év3que meurt. L'impression qu'ont fait su.r elle le récit des derniers moments dn pr'être, les examens de coeu.r. les re-
traitea- et 18 confirmation l'a décidé d'entrer en religion, de
passer ses ann€ea de jeunesse dans un ordre de missionnaires-
et une fois arrivée à un âge où. elle ne pourrai t plus rendre
autant de services, d'entrer en un clOître austère et se prépa-
rer à mourir en sainte. Cependant le bon sens de sa. mère l'in- cline à s'interroger plus longuement. Elle écrit de sa tendance au mensonge qu.l la préoccupe beaucoup et elle l' expliq tle en dis:snt, ft q uoiq ue je trouve que je mente beaucotlp moins je déguise souvent la vérl té par ex-
emple pour donner plus d'intérêt à une histoire que je raconte."
De cecl Monsieur Fran~ols de Ca.rel a. dit: Il me semble qu'elle
en donne une raison tellement louable chez un futur auteur dra-
matique, que ce nfest plus le moins du monde un défaut.
Mais ces questions de religion et scrupŒles de con-
science ne préoccupent pas tellement la jeune fille qu'elle né- glige la li ttér-a.ture et la. musique. Un jour, elle dit que sa. ff11ttérature est délicieuse'.! que "c'est que loue choie de ravis- ant". Elle apprend le raIe de la Grande Duchessâ dans une comé-
-9- 1a fin da cahier de souvenirs d[enfance en l'année 1890 et le mois de septembre 1893 quand commence le journal de femme. quelles souffrancea~ quels espoirs~ et quels découragements! C'est une période de ~ransformation des plus dures, mais sa mère elle-même avant de lire le "Journal" après la mort de S}3. fille n'avait pas Idée ae la profondeur de sa souffrance. Elle nous dit:^ , "Ce que ce tte lecture fut pour moi, on le comprendr8~ Certes, je sava.is
que ma fille devait souffrir plus qu'une autre à sa place. Mais
à ce point làl Pouvais-je le supposer quand toute sa vie ne fut qu'un doux et constant sourire de vaillante gatt.é qui vou- lait m'aider à supporter notre double épreuve et à rendre ma vIe possible. heureuse presque."
Quand l'enfant devint tout à fait aveugle, c'est sa
m~ra qui lui apprit un premier alphabet par le toucher; puis,
qtland la Vlle revint progressi vernent elle lui parlai t pa.r le s
doIgts. Jusqu'~ la fin elle fut lflnterpr~te de sa fille, et
quand elles se trouvaient ensemble dans une rétinien, les mains de
la mère ne cessaient de s'ag1ter traduisant la conversation.
tluant à co·mprendre d r apr~a le meuveme nt des lèvre s, lüar1e Lenérll
sry exer~a, sans que sa vue fftt jamais assez bonne pour 1111 per-
mettre d'y réussir. A partir de 1892 elle pouvait correspondre
par écrit et lire à la loupe. Certains ont cru qu'elle éta1t
aussI muette·. En réalité, três 1mpresslonab1e, elle ne pouvait
parler qtland une émotion violente la paralysait. Avec aes amis,
elle par'lait d'une volx rude et rauque à la maniàre des sour<is
quI ne peuvent, régler leurs intonations tant6t trop falbles. ta.n-
tôt trop fortes.
De ses amis nous ~qvons "qu'elle est devenue une belle fille droite et élégante. Sa beBut,~, peut~être un peu trop virile était faite de noblesse et d'expression. Bien qu'elle s'y
s'enti t terriblement seule, elle a.val t le gofit de la vie de so-
ciété. Quand elle paraissait, elle n'attristait pas. Elle ap-
portait. de la joIe, et de la ga.!té. On admirait son port su-
perbe, son beaŒ front, ses yeux sur lesquels flottait seulement
ane buée bleuâtre. Elle avait aussi la large lumière de son
sOllrire qu.e sa grande amie lvladame Duclanx appelait la brise marine.t lt^ ) Quel héroisme de ne montrer que dans son journal son ennui! Et quel ennul~
Cette ligne de Marc-AuIfè1e, au commencement du journal
de 1893: "Accout tll'!le-tol, même aux choses q rIe tu dé sespères.:ac-
compllr" en est 8ctuellement le titre. Elle écrit parce que malgré son horreur des journaux intimes, 11 lni arriverai t de se permettre des protestations' contre elle-même., parce que c'était un stimula.nt, et au.ssl parce qll1elle
avait besoin d'être mattresse de son style.
(") Mme Jean Halde "L'héroique destinée de llarle Lenérll. n
heureuse est manquée pour elle ~ 11 lui faut inventer tllle autre
dans laquelle "ces- affreuses années puissent garder une place n •
Son ambi tion est d'avoir un de ces grands talents qu.l do.t}nent
toutes les pairies. Elle souhaite la notoriété p1ut~t pour dTll-
~ustreg sympa thles que pour la renommée. E-t malgré sa vue basse
elle persistait. dans sa lecture -- du lat.in, de Ifallemand, de
l'italien et de lfanglais. Pour elle la gloire n'embell!t pas
la femma et elle ne veut pas se sacrifier. Je suIs sftr qufelle
le croit qu.and elle dit: Je 'VJetlx un talent qtIi soit mol, me dis-
tlngu.e. me ré'v~le à quelque s -uns. a~ seuls q 0.1 compt.ent. pou.r-
moi. Un talent qlll me compl~te. reçoive, ma vie intime et l'am-
plifie, par lequ.el-je puisas dépenser tou.t ce qae j 1 ai d'ar<ieur,
de contemplation, de volonté an travail intense, un talent qu.i
s'empare de mon temps et de mon effort, de mon courage et de mon
spleen. Mals j'aimeraIs mieux ~tre Inimitable par la manière de
porter ane robe de Chabert. que par tout. le ts.lent et toute la
laide ur des Ellio t e t, cres Staal."
Et a.vec mille recours à son journal pour y exprimer
son ennu1 9 son isolement t sa so111 tude, sa résistance et même
quelquefois son acceptation et son espoir dans une guérison
prochaine, elle sfachemlne vers son amblt.lon de "faire quelque chose qui me vaille.~
Vers la fin de l'année 1899 elle écrit; "Le lent pro-
grès continu de mes yeux me ressuscite, je retrouve des sensations
Inéprouvées depuIs dIx ans 9 je me sens plus enveloppée cIe vie,
je ret.rouve tlne atmosphère respira.ble. tt^ Mais cette amélioration
n·alla pes jusçuf^! l'ouie, et elle se rendait compte que le sen
est de toutes les perceptions celle qui nous met le plus en con-
tact avec la. vie. Elle ne se permit jamais d" oublier un pe.n
aes souffrances à ce sujet, ni ses espérances d'être guérie. En
se réveillant elle gardait 1ongt.emps les yeux :t'ermés et elle se. souvenait de la vie, de la vraie, celle dont elle avait vécu qua- torze ans: et qui 1u.i avait laissé plus de souvenirs que ITautre. Elle pense qntelle sly réveillait enfin, qu'elle allait. ent.end.re les bruits sI cenflls de la rue, le sifflet des canonnl~res. les .alve~. levvolx de la femme de chambre. Un autre jour elle dé- crit ses sensa.tions:. "Ces oreilles bouchées, c'est la tête em- maillotée d' tm pansement, dl un pansement qu'un mouvement ner-
veox~ machinal,. me porte toujours à arracher et toujours on me
tient les mains et je m'endors, et je me réveille, dans la fiè'vre des paquets d'ouate". Avec une sensibilit.é si tendue, il nf"est pas surprenant qu'elle jouisse fortement de ses autres sensations. "Il fait froid, Il fait net et sonore, car la sonorité se voit et se respire aussi." "Il Tente en tempête. Les arbres ont 1 t 9ir de se confier des' histoires drÔles et de ne pouvoir ga.rder leur
.... 15-
beaa.coup pensé à sa d.estinée tragiqlle, à ne plus être croyante.
- J 1 Dt admira.bles prières écri tœ dans son jOllrna1 nous font ~'ilî'~~P.-711n
~tre qlll se sentait capable de tout faire, mais pour qui un ef-
fort surhœmaln était nécessaire pour accomplir selllement les
exigences de la vie quotidienne.
"Bpargnez-mol, mon Dieu, quand je parattrai devant VOu.s
et que je vous comprendrai enfin, de sentir que je nTai pas fait
tout ce que je pouveis pour vous.
Je veux vivre, mon Dieu! Et chaqlle jonrnée quI passe,
une ornere plus violette sur mon âme, je la considère comme un re-
nouvellement du pacte qal nous lIe, par lequel vous m'avez prise
à 1 f enfsnce, à la jeunesse, a.u bonheur et en vert.u dl1quel vous ne
·pouvez plus me traiter ni en enfant, ni en femme, nl m@me en
créature ordinaire, puisqu~ rien sur la terre n'est. fait pour
moi ••••••
Eh bien, mon DieIl, qui savez tOIlt cela9" qui savez avec
i~el dégoût je marche à cet avenir aQquel je ne peux penser sans
éprollver physiquement. le dé8espolr~ accordez-moi, peut-~tre pas
la se ule chose que je dé sire. mais la se ule qué je ve ullle
vous demander, accordez-mol Itl n tel.l1gence de ce que vous me VOtl-
lez! "
Et plus tard, on 11 t: "Oh,! pré sent" je n'ai plus
la vocatIon du martyre, plus rien de mon acceptatlon janséniste,
je veux passionnément gtlé·rir.
Elle ne cessait pa.s de s'ennu.yer et elle ne pouva.it
même pas imagIner ce qui la distrairait. Elle travaillait, elle
lisait huit heures par jour. néanmoins 11 y avait des moments
qui, "par leur va.cuité', devraient. me faire mourir, comme un
trou à l'âme. ane chute da.ns le temps.ft P'uls elle a essayé
d'écrire quelque chose, elle s'est trouvée maladroite mals elle
a perslsté:- ffécrls ou meurs, par pitié pour sol-même on ne peut.
faire que d.es chefa:-d' oeuvre. Ne pas faire quelq.ue chose qu.l
puls'se être jugé supérieur par des '@tres su.périeurs, ct es t ce que
je ne pardonnerais pas."
Ses premiers essais sont parus sous le nom "d'Antoine
Morsaln~. Son étude sur Saint-Just, le "professeur ~'énergle"
a ~t~ publié par "Le Mercure" le 15 octobre, 1905. Puis elle a
essayé d'écrire an roman qu.l eat devenrr plllB tard. u.ne pièce -
"Les Lutteurs". Elle a trouvé qu.e pour cont Inuer dans le roma.n
la fol lui manquait et aussi le goftt. Sous le nom de Marie
Lenéru a paru en 1908 "Le Cas de Miss Helen Keller~ et plus tard
n.n peti t .chef-d'oeuvre -- la nouvelle "La Vivante ft a été présen-
té anonymement au concours du. "Journal" et a. re~u le prix. !\Kals
c'est au th§8tra qu'elle s'intéressait. "Car le théâtre, c~est
l'essentiel du. roman, sans remplissage et sens à-cOtés, sans
coloriage. C'est de la sculpture, et dans le moment on dirait